Épilogue bonus exclusif de l'Appel de la bête
J’ouvre les yeux, l’obscurité de la chambre à peine troublée par les premiers rayons de l’aube qui filtrent à travers les épais rideaux du Rempart. Mon corps est tendu, prêt à bondir, vestige de mes années dans l’armée. Mais aujourd’hui, quelque chose est différent. Une énergie nouvelle pulse dans mes veines.
Je tourne la tête, mon regard se posant sur la silhouette endormie d’Élise. Sa respiration est profonde et régulière, son visage serein dans la pénombre. Une vague d’amour me submerge, si intense qu’elle me coupe le souffle. Mes doigts me démangent de caresser sa joue, de sentir sa peau douce sous mes paumes calleuses, mais je me retiens. Je ne veux pas troubler son sommeil.
Avec des mouvements fluides et silencieux qui contrastent avec ma stature imposante, je me lève du lit. Je m’arrête un instant, contemplant Élise. Mon cœur se serre, submergé par un mélange d’amour et de gratitude que je peine encore à exprimer. Les mots ont toujours été difficiles pour moi, surtout quand il s’agit d’émotions.
Une idée germe dans mon esprit : lui préparer le petit-déjeuner. C’est un geste simple, presque banal pour certains, mais pour moi, c’est un territoire inconnu. Depuis qu’Élise est arrivée au Rempart, elle a pris soin de nous tous, nourrissant non seulement nos corps, mais aussi nos âmes blessées avec ses repas préparés avec amour.
Je ressens le besoin viscéral de lui rendre la pareille, de lui montrer que je peux aussi prendre soin d’elle. Cette pensée me remplit d’une détermination féroce, mais aussi d’une appréhension que je n’ai pas l’habitude de ressentir face à un défi. Affronter des criminels ? Aucun problème. Traquer des menaces surnaturelles ? C’est mon quotidien. Mais préparer un petit-déjeuner pour la femme que j’aime ? Ça, c’est terrifiant.
Je quitte la chambre sur la pointe des pieds, refermant doucement la porte derrière moi. Le couloir est silencieux, le reste de la maison encore plongé dans le sommeil. Je descends l’escalier, mes pas assurés malgré l’obscurité. La cuisine m’accueille, vaste et intimidante dans la pénombre.
J’allume une petite lampe, ne voulant pas inonder la pièce de lumière et risquer de réveiller les autres. Je me tiens là, au milieu de la pièce, me sentant soudain démuni. Par où commencer ?
La cuisine du Rempart, habituellement ordonnée et silencieuse à cette heure, devient rapidement le théâtre d’une bataille culinaire chaotique. Je me tiens là, au milieu de la pièce, me sentant soudain démuni. Par où commencer ?
Je sors maladroitement les ustensiles, les casseroles s’entrechoquant dans un bruit sourd qui me fait grimacer. La farine s’échappe du sac que j’ouvre avec trop de force, créant un nuage blanc qui recouvre le plan de travail. Je fronce les sourcils, concentré sur l’écran de mon téléphone où une recette de crêpes s’affiche. Mes yeux, habitués à scruter les scènes de crime, parcourent les instructions avec une intensité presque comique.
Je commence à mélanger les ingrédients, ma force brute mal adaptée à cette tâche délicate. Les œufs éclatent sous mes doigts puissants, laissant des traînées de blanc et de jaune sur le comptoir. La pâte, trop épaisse ou trop liquide, refuse de coopérer. Lorsque je verse la première louche dans la poêle brûlante, une odeur de brûlé envahit rapidement la cuisine. Je jure entre mes dents, une colère familière montant en moi. Je respire profondément, luttant contre l’envie de tout abandonner. L’image d’Élise, endormie à l’étage, apaise momentanément ma frustration.
Le bruit d’une porte qui s’ouvre brusquement me fait sursauter. Je me retourne vivement, mes réflexes de flic en alerte, pour voir Alexander entrer dans la cuisine. Son regard balaye la pièce, s’attardant sur le chaos que j’ai créé avant de se poser sur moi. Je suis conscient de mon apparence : couvert de farine, une poêle fumante à la main, probablement l’image même du désarroi.
Un silence s’installe, rompu seulement par le grésillement d’une nouvelle crêpe en train de brûler. Puis, le rire d’Alexander éclate, profond et irrépressible.
— Eh bien, grand frère, dit-il entre deux éclats de rire, je ne savais pas que nous avions un chef cuisinier parmi nous !
Je grogne, mi-amusé, mi-agacé par son intrusion et ses moqueries. Une partie de moi veut le repousser, protéger ce moment de vulnérabilité qu’il a interrompu. Mais c’est Alexander. Je ravale ma fierté blessée et tente un sourire crispé.
Alexander s’approche, examinant avec un sourire narquois les tentatives ratées de crêpes qui s’empilent sur le comptoir.
— Tu sais, continue-t-il en prenant une crêpe carbonisée, je crois que même nos ennemis les plus coriaces n’oseraient pas affronter ça.
Je serre les poings, une vieille habitude que je peine à contrôler. La colère monte en moi, familière et brûlante. Mais je la repousse, conscient qu’elle n’a pas sa place ici, pas maintenant. Au lieu de réagir comme mon instinct me le dicte, je prends une profonde inspiration.
— Je voulais faire quelque chose de spécial pour Élise, dis-je d’une voix basse, presque vulnérable.
Les mots sortent difficilement, comme s’ils devaient forcer un passage à travers des années de silence et de dureté. Je fixe la poêle, évitant le regard d’Alexander.
— Elle… elle a tellement fait pour nous tous. Pour moi. Je pensais que peut-être…
Ma voix s’éteint. Je me sens soudain ridicule, comme un ours maladroit essayant de manipuler de la porcelaine fine. Le rire d’Alexander s’adoucit, se transformant en un sourire compréhensif.
— Je comprends, Gabe, dit-il doucement. C’est… c’est vraiment gentil de ta part.
Il pose une main sur mon épaule, un geste de soutien silencieux. Je lève enfin les yeux vers lui, surpris par la tendresse que je vois dans son regard habituellement si analytique.
— Tu sais, continue-t-il, je ne suis peut-être pas un expert en cuisine, mais je pourrais t’aider. Deux cerveaux valent mieux qu’un, non ?
Je hoche la tête, reconnaissant. Ensemble, nous nous attaquons au chaos de la cuisine. Alexander, avec sa précision habituelle, mesure les ingrédients pendant que je m’occupe de mélanger. Nos mouvements deviennent peu à peu synchronisés, comme lors de nos patrouilles.
Alors que nous travaillons, je sens quelque chose se détendre en moi. C’est étrange de partager ce moment avec Alexander, de le laisser voir cette partie de moi que je garde habituellement si bien cachée. Mais c’est aussi… libérateur.
— Tu l’aimes vraiment, n’est-ce pas ? demande soudain Alexander, sa voix douce, mais directe.
Je m’arrête un instant, la question me prenant au dépourvu. L’amour. Un mot que j’ai si longtemps évité, craignant sa puissance, sa capacité à me rendre vulnérable. Mais en pensant à Élise, à la façon dont elle a illuminé ma vie, je ne peux nier la vérité.
— Oui, je murmure. Plus que je ne pensais pouvoir aimer quelqu’un.
Alexander hoche la tête, un petit sourire aux lèvres.
— Ça se voit, tu sais. Dans la façon dont tu la regardes, dont tu agis autour d’elle. C’est… c’est bon de te voir comme ça, Gabe.
Ses mots me touchent plus que je ne veux l’admettre. Je sens une chaleur inhabituelle monter en moi, un mélange de gratitude et d’affection pour mon frère.
— Merci, Alex, dis-je simplement, espérant qu’il comprenne tout ce que ces deux mots contiennent.
— Tu sais, dit Alexander en me regardant verser une nouvelle louche de pâte, la clé c’est de ne pas avoir peur de la poêle. Traite-la comme un suspect récalcitrant.
Je lève les yeux au ciel, mais je sens un petit sourire se former sur mes lèvres malgré moi.
— Je doute que menacer la poêle d’arrestation aide à faire de meilleures crêpes, Alex.
Mon frère rit, et je me surprends à apprécier ce moment de légèreté. C’est rare que nous plaisantions ainsi, surtout ces derniers temps. La tension qui habite constamment mes épaules commence à se dissiper un peu.
— Qui sait ? rétorque Alexander avec un clin d’œil. Peut-être que si tu lui lis ses droits, elle coopérera mieux.
Je secoue la tête, amusé malgré moi par son absurdité.
Tandis que nous continuons à échanger des plaisanteries, l’atmosphère dans la cuisine se détend peu à peu. Alexander donne des conseils entre deux remarques taquines, m’expliquant comment ajuster la température de la poêle et quand retourner les crêpes. Bien que j’insiste pour faire le travail moi-même, sa présence m’aide à me détendre et à rire de mes propres erreurs.
— Tu sais, dit-il en observant ma tentative suivante, je pense que celle-ci ressemble presque à une crêpe. Peut-être que tes menaces ont fonctionné après tout.
Je regarde la crêpe dans la poêle. Elle est loin d’être parfaite, mais c’est certainement une amélioration par rapport aux précédentes tentatives carbonisées.
— Ne parle pas trop vite, je réponds. Elle pourrait encore décider de brûler par pure rébellion.
Alexander rit de nouveau, et je sens une chaleur se répandre dans ma poitrine. C’est étrange de le voir ainsi, détendu et joueur. Ça me rappelle notre jeunesse, avant que le poids de nos responsabilités et de nos traumatismes ne nous change.
Progressivement, mes efforts commencent à porter leurs fruits. Je regarde avec une satisfaction croissante la poêle devant moi. Les crêpes deviennent plus rondes, plus dorées, moins… carbonisées. Une pile de crêpes mangeable commence à se former sur l’assiette à côté de moi, et je sens un sourire étirer mes lèvres. C’est un sentiment étrange, cette fierté pour quelque chose d’aussi simple que des crêpes réussies. Mais c’est là, chaud et réconfortant dans ma poitrine.
Enhardi par ce succès, je m’attaque à la préparation du café. L’arôme riche et familier emplit rapidement la cuisine, se mêlant à l’odeur sucrée des crêpes. C’est une odeur réconfortante, qui me rappelle les matins calmes au poste de police. Sauf que cette fois, c’est différent. Cette fois, c’est pour Élise.
Je prends un couteau, conscient de la force de mes mains habituées à manier des armes. Avec une délicatesse que je ne me connaissais pas, je commence à couper des fruits. Chaque geste est mesuré, précis. Je ne peux m’empêcher de penser que c’est ainsi que je manipule les preuves sur une scène de crime. L’ironie de la situation ne m’échappe pas.
Du coin de l’œil, je vois Alexander qui commence discrètement à nettoyer le plus gros du désordre. Je lui suis reconnaissant, même si je ne le dis pas à voix haute. Avant de partir, il me lance un dernier regard taquin.
— N’oublie pas de te débarrasser de cette farine sur ton visage. À moins que tu ne veuilles ressembler à un grizzly albinos.
Je grogne en réponse, mais je ne peux retenir un sourire. Même si je ne l’admettrai jamais, sa présence ce matin a été… agréable.
Une fois seul, je m’affaire à dresser la table. Chaque assiette, chaque couvert est placé avec un soin inhabituel. Je me surprends à réarranger les serviettes plusieurs fois, cherchant la disposition parfaite. C’est ridicule, je le sais. Mais je veux que tout soit parfait pour Élise.
Soudain, mes sens aiguisés captent un changement subtil. La respiration d’Élise à l’étage change de rythme, devenant plus légère, moins profonde. Elle est en train de se réveiller. Mon cœur s’accélère instantanément, battant un rythme effréné contre mes côtes. C’est un mélange d’anticipation et de nervosité que je n’ai pas ressenti depuis… je ne sais même plus quand.
Je prends une profonde inspiration, essayant de calmer les battements frénétiques de mon cœur. C’est absurde. J’ai affronté des situations bien plus dangereuses sans sourciller. Et pourtant, l’idée qu’Élise descende et découvre ce que j’ai préparé me remplit d’une appréhension presque palpable.
Mes mains, d’habitude si sûres, tremblent légèrement alors que je verse le café dans deux tasses. L’odeur riche et réconfortante emplit mes narines, me ramenant momentanément à la réalité. Je peux le faire. Ce n’est qu’un petit-déjeuner, pas une opération à haut risque.
J’entends les premiers pas d’Élise dans le couloir à l’étage. Chaque pas résonne dans mon corps comme un coup de tonnerre. Je me tiens droit, les épaules tendues, comme si j’attendais une inspection. C’est ridicule, je le sais, mais je ne peux m’en empêcher.
J’entends les pas légers d’Élise dans l’escalier, chaque bruit faisant monter mon anxiété d’un cran. Mon cœur bat la chamade, et je me sens ridicule d’être aussi nerveux pour quelque chose d’aussi banal qu’un petit-déjeuner. Pourtant, je ne peux m’empêcher de me tenir droit, comme au garde-à-vous, attendant son arrivée.
Soudain, elle apparaît sur le seuil de la cuisine. Ses yeux s’écarquillent de surprise, parcourant la pièce avant de se poser sur moi. Je suis conscient de mon apparence : encore couvert de farine, probablement l’air aussi maladroit qu’un ours dans une boutique de porcelaine. Mais son regard… il n’y a pas de jugement, juste une tendresse qui me coupe le souffle.
— Gabriel… murmure-t-elle, sa voix chargée d’émotion.
Je sens ma gorge se serrer. Les mots, toujours si difficiles pour moi, semblent encore plus insaisissables. Je m’éclaircis la gorge, essayant de trouver quelque chose à dire.
— Je… j’ai voulu te faire une surprise, j’explique maladroitement. Alexander est passé et… enfin, c’était une idée intéressante.
Un rire nerveux m’échappe, un son que je ne reconnais presque pas comme le mien. C’est étrange, cette vulnérabilité que je ressens. Mais le sourire d’Élise, si lumineux, si plein d’amour, fait fondre une partie de ma tension.
Elle s’approche de moi, ne semblant pas se soucier de la farine qui macule maintenant sa chemise de nuit. Ses bras s’enroulent autour de mon cou et elle m’embrasse tendrement. Je me laisse aller à son étreinte, savourant la douceur de ses lèvres contre les miennes.
— C’est parfait, murmure-t-elle contre mes lèvres.
Ces simples mots font naître en moi une chaleur que je n’ai pas ressentie depuis longtemps. Une fierté, mêlée à quelque chose de plus profond, de plus tendre.
Nous nous installons à table, et je regarde Élise prendre sa première bouchée avec appréhension. Malgré les imperfections évidentes — certaines crêpes sont un peu trop cuites, d’autres pas assez — elle savoure chaque bouchée avec un plaisir évident. Son appréciation sincère me touche plus que je ne l’aurais cru possible.
Encouragé par sa réaction, je me surprends à partager les difficultés que j’ai rencontrées ce matin. Je lui raconte comment j’ai failli mettre le feu à la cuisine, comment Alexander m’a trouvé en plein chaos culinaire. Je lui parle même de mes sentiments, de cette expérience si… humaine, comme je l’appelle.
— Tu sais, je dis en fixant ma tasse de café, je ne pensais pas que faire des crêpes pouvait être aussi… intimidant.
Élise rit doucement, sa main trouvant la mienne sur la table.
— C’est normal d’être nerveux quand on essaie quelque chose de nouveau, dit-elle avec douceur. Mais tu as réussi, Gabriel. Et c’est délicieux.
Son sourire est si chaleureux, si plein d’amour, que je sens quelque chose se dénouer en moi. C’est comme si une partie de la carapace que j’ai construite au fil des années commençait à se fissurer.
— Je voulais faire quelque chose pour toi, j’avoue, ma voix plus douce que d’habitude. Tu as tellement fait pour moi, pour nous tous. Je voulais… te montrer que je peux aussi prendre soin de toi.
Les yeux d’Élise brillent de larmes contenues, et elle serre ma main plus fort.
— Oh, Gabriel, murmure-t-elle. Tu prends soin de moi tous les jours, de tellement de façons.
Ses mots me réchauffent de l’intérieur, apaisant des doutes dont je n’avais même pas conscience. Le petit-déjeuner se poursuit dans une atmosphère de complicité et de tendresse que je n’ai jamais connue auparavant. Nos rires se mêlent alors que je lui raconte les détails les plus embarrassants de ma bataille contre la pâte à crêpes.
C’est plus qu’un simple petit-déjeuner réussi. C’est un moment de paix, de joie simple que je n’aurais jamais cru possible pour quelqu’un comme moi. C’est grâce à Élise, qui a apporté une dose d’amour et de magie dans ma vie d’ours, et je lui en serai éternellement reconnaissant.
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